Le moment venu

29.09.2022

Adresse

J'écoute une Radioscopie de 1970, Jacques Chancel s'y entretient avec Henry de Montherlant. On ne peut l'ignorer bien longtemps, puisque le journaliste répète le nom de l'écrivain à chaque fin de question. Cela peut agacer, comme ces gestes d'une politesse un peu compassée,  cela peut aussi bien émouvoir. Le but est que l'auditeur qui vient d'arriver n'ignore pas à qui il a affaire. Cette préoccupation a presque partout disparu, l'auditeur vient moins souvent à l'improviste, avec les podcasts son choix est même le plus souvent programmé. En voiture où le hasard demeure, cela permet de jouer parfois à deviner quel est cet écrivain qui parle, à qui appartient cette voix d'actrice que l'on connaît. Mais souvent la négligence de l'animateur est trop longue à s'amender, les propos de l'invité sont d'une platitude qui désole et l'on s'impose de les écouter uniquement pour enfin savoir qui est ce bavard imbécile. 

26.09.2022

Canetti

Mathilde Arditi, épouse Canetti, veuve à 26 ans, élève seule ses enfants. Elle leur enseigne trois grands principes, qui guideront toutes leurs vies : organisation, ambition, énergie. Elias Canetti est l'aîné, il obtiendra le prix Nobel de littérature en 1981. Jacques, son cadet, à peine moins polyglotte que son frère, fut pour la chanson française que ce que Paulhan fut pour la littérature. Quant au petit dernier, Georges, il n'obtint jamais le prix Nobel de médecine, quoiqu'il fût l'un des pionniers de la bithérapie et de la trithérapie antibiotiques. Il consacra sa vie à l'étude de la tuberculose, qui avait emporté sa mère en 1937.

25.09.2022

Technique

Dans « L'Agressivité », l'un des textes rassemblés dans Les Nouvelles Chevaleries, Montherlant raconte la première fois où il a enfilé, à quarante-quatre ans, des gants de boxe. Ce n'était pas la première fois qu'il boxait, loin de là. Le texte contient cette admirable formule : « Ce qui m'intéresse surtout, dans un sport, c'est en quoi les enseignements de sa technique peuvent, transposés, m'aider dans la conduite de ma vie. »

24.09.2022

Rencontre

Roger Caillois a consacré une note de lecture à L'Équinoxe de septembre dans La Nouvelle Revue française de janvier 1939. En février 1973, il participe au numéro que la Revue donne en hommage à Montherlant. Son texte, « Plaidoyer pour Tacite », repris en volume dans Rencontres, est une contestation savante de critiques adressées par Montherlant à l'historien romain dans Le Treizième César. Caillois avait promis à Montherlant de plaider la cause de Tacite, il le fait avec brio, soulignant les erreurs de traduction et les interprétations partiales et fautives qu'elles favorisent, ou qui les ont favorisées. Et cela donne malgré tout un bel hommage à Montherlant, dont Caillois loue le style, la lucidité et l'indépendance, « une certaine roideur d'expression, enfin, je ne sais quel romantisme amer et hautain, qui tonifie ». Points communs à Tacite et Montherlant ; et nous ajouterons : au jeune Caillois du Vent d'hiver.

23.09.2022

Equinoxe

Nous sommes le premier jour de l'automne. Montherlant s'est suicidé, d'une balle dans la gorge combinée à une capsule de cyanure, pour éviter de faire une « Chamfort », le jour de l'équinoxe d'automne 1972. On y a vu un symbole : quitter la vie avant la déchéance qui lentement conduit à l'hiver et à la dormance. Cherchant si Montherlant avait donné lui-même cette interprétation, je n'ai guère trouvé que des références à un essai paru en 1938, L'Équinoxe de septembre. Il semble que ce soit une dénonciation de l'esprit munichois, et le titre, je le suppose, est une déploration du défaut de résistance d'une civilisation qui s'affaiblit. Il faudra le lire un jour. Il y a dans Les Nouvelles Chevaleries pareil éloge de la force et un goût pour les sociétés de quelques membres d'élite qui m'évoquaient Le Vent d'hiver, paru comme L'Équinoxe de septembre en 1938, de Roger Caillois. Chez Caillois, le froid de l'hiver favorise la communion des forts, les plus résistants, en éliminant les plus faibles. De cette position il reviendra, grâce à la guerre, et comme de la guerre le principal est d'en revenir.

22.09.2022

Le 22 septembre...

... aujourd'hui je m'en fous. Mais l'équinoxe...

21.09.2022

Montherlant

C'est, plus encore que le hasard, un penchant coupable pour la bibliophilie, qui a mis entre mes mains et sous mes yeux un opuscule tiré à 700 exemplaires, Les Nouvelles Chevaleries. Je connais peu Montherlant, j'ai donc fait ce qu'on commence à faire quand on veut combler ses lacunes : je suis allé lire sa page Wikipedia. J'y ai découvert qu'il s'est suicidé le 21 septembre 1972, il y a jour pour jour cinquante ans. À peu près personne n'en a parlé, à peu près personne ne le lit de nos jours, et si j'étais jusqu'à aujourd'hui du nombre des seconds, je veux aussi désormais être des premiers. Montherlant s'est tiré une balle dans la tête pour ne pas affronter la déchéance, ce qui est une manière moins moderne et moins suisse de quitter la vie que celle qu'a choisie Jean-Luc Godard il y a huit jours. Mon exemplaire des Nouvelles Chevaleries est imprimé sur du papier d'Auvergne pur chiffon, un beau papier si grenelé que la lecture en est parfois rendue malaisée. La lumière se perd en effet dans les aspérités, qui sont comme autant de dunes ombrageant leur ubac. L'ouvrage a été publié en 1942, Montherlant s'y déclare « un très modeste collaborateur du maréchal Pétain », mais je tronque malhonnêtement la citation : « dans l'œuvre pour l'érection de l'ossuaire de Douaumont ». La défaite est encore amère, l'enthousiasme n'est pas de mise, même pour la révolution nationale. C'est trop tard, le moment est passé, le temps n'est plus de la jeunesse et des serments de fidélité entre jeunes gens idéalistes. Il y avait pourtant de la beauté et de la grandeur au milieu des ridicules, des enfantillages et de la roideur. Montherlant, par la littérature, en sauve le souvenir, et le regard ému qu'il jette sur son passé, nous pouvons le jeter sur son œuvre. Les défauts que nous y trouvons sont peut-être les nôtres, nous qui avons vieilli et perdu ce qu'il chérissait tant : la force.